BIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT

BIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT
BIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT

L’étude du développement embryonnaire des animaux métazoaires, organismes complexes constitués de milliards de cellules aux fonctions distinctes qui se différencient harmonieusement à partir de la cellule-œuf, a d’abord été l’objet d’une science descriptive, l’embryologie. Celle-ci fut qualifiée de «causale» lorsqu’elle chercha à comprendre les mécanismes qui président au développement. Aujourd’hui elle est devenue une discipline cellulaire et moléculaire qui démontre que des mécanismes et des gènes similaires ou identiques sont mis en jeu à d’autres époques de la vie et au cours de processus indépendants de l’ontogenèse, par exemple la régénération des parties amputées. En conséquence, on emploie volontiers le terme de biologie du développement pour désigner un ensemble de phénomènes qui ne se déroulent pas obligatoirement chez l’embryon mais qui font partie d’un continuum qui englobe, en particulier, le vieillissement.

1. Modèles de développement

C’est la comparaison entre les évolutions d’embryons appartenant à différentes classes d’Invertébrés et de Vertébrés qui a permis de dégager de grandes lois du développement. On a pu ainsi définir des modes de développement distincts [cf. MORPHOGENÈSE ANIMALE] et mettre au point à partir de ceux-ci des modèles expérimentaux qui présentent chacun des avantages spécifiques.

Chez les Vertébrés, par exemple, l’embryon d’Amphibien est propice à l’étude des phases précoces du développement, notamment le passage de l’embryon sphérique résultant de la segmentation de l’œuf (blastula) à l’embryon à symétrie bilatérale, comportant trois couches ou feuillets embryonnaires distincts (ectoderme, mésoderme et endoderme), que l’on nomme gastrula. Chez celui-ci, on étudie les processus d’induction existant entre cellules ou entre feuillets et les activités géniques qui s’y trouvent impliquées.

L’embryon d’Oiseau, d’un abord expérimental facile, constitue un matériel privilégié pour analyser les phases de la morphogenèse, caractérisée par d’importantes migrations cellulaires, et de l’organogenèse. C’est en effet un embryon de taille relativement grande, il se développe dans un plan (blastodisque), et une méthode de marquage cellulaire particulièrement satisfaisante a été décrite. Cette méthode consiste à associer les cellules de deux espèces, la caille et le poulet, suffisamment proches pour permettre le développement normal ou quasi normal des embryons expérimentaux (Le Douarin, 1969). Les noyaux des cellules de caille présentent une ou plusieurs mottes de chromatine condensée qui permettent de les identifier à tout moment de l’expérience.

L’embryon de Mammifères, en général celui de la souris, est, quant à lui, peu accessible, fragile et très exigeant en culture. Néanmoins, outre l’intérêt évident pour la compréhension de l’embryogenèse dans cette classe de Vertébrés, l’embryon de souris s’est révélé fort approprié à l’analyse génétique, grâce au développement des cellules ES (embryonic stem cells ). Il s’agit de lignées continues, obtenues à partir de cellules de la masse cellulaire interne (embryon de trois jours et demi de gestation), qui sont maintenues indifférenciées grâce à la présence dans le milieu de culture d’un facteur de croissance approprié, le LIF (facteur inhibiteur de leucémie). Ces cellules ES peuvent être induites à se différencier in vitro ou être incorporées dans un embryon de souris après introduction (après transfection) d’un gène étranger ou ablation d’un gène endogène (knock out ). À partir de ces chimères, dans lesquelles coexistent des cellules normales et des cellules manipulées, il est possible d’obtenir par croisement des familles de souris toutes porteuses du caractère génétique artificiellement introduit.

2. Les inductions embryonnaires

Dans une expérience célèbre publiée en 1924, Spemann et son élève Hilde Mangold transplantent, au stade de la gastrula, une partie du territoire dorsal d’un embryon de grenouille dans la région ventrale d’un autre embryon. Du pigment, présent chez l’embryon donneur, sert de marqueur dans cette expérience. Normalement, le territoire dorsal fournit le squelette axial primitif de l’embryon (notocorde ou corde), qui sous-tend le futur système nerveux, présent à ce stade sous la forme de plaque neurale. La greffe de ce territoire cordal induit la formation, aux dépens des tissus de l’hôte, d’un nouvel embryon dans la région ventrale de l’embryon receveur. Spemann appelle «organisateur» le territoire dorsal et «induction neurale» ou «induction primaire» le phénomène observé. Le développement est dès lors reconnu comme un enchaînement d’événements où chaque étape conditionne nécessairement la suivante, car les cellules issues de l’œuf, loin d’évoluer indépendamment, interagissent les unes avec les autres, conditionnant leur devenir d’une manière décisive [cf. MORPHOGENÈSE ANIMALE]. Pendant plus de trente ans, des recherches intenses, menées ensuite conjointement par des embryologistes et des biochimistes pour identifier la ou les substances actives, resteront infructueuses.

Il faudra l’avènement des techniques de la biologie moléculaire pour commencer à élucider à partir de 1985 les mécanismes de l’induction, qui se révèle un phénomène extrêmement complexe. Nieuwkoop (1969) met en évidence une étape préalable à l’induction neurale, au cours de laquelle l’endoderme dorsal confère au mésoderme les propriétés du centre organisateur de Spemann. Le modèle expérimental mis au point par cet auteur consiste à associer certains étages de la blastula. Les cellules du pôle inférieur de l’embryon, à destinée endodermique, induisent les cellules associées à devenir mésodermiques, même si la destinée normale de ces cellules est différente, comme celles du pôle supérieur, qui donnent du neurectoderme. L’existence d’un centre organisateur primordial, maintenant appelé centre de Nieuwkoop, a été ainsi mise en évidence. Ce centre est responsable de l’initiation de la cascade d’inductions responsables du développement: le centre de Nieuwkoop (endoderme dorsal de la blastula) induit le mésoderme dorsal, ou centre de Spemann, qui sera à son tour responsable de l’induction neurale.

Chez les Amphibiens, le programme de développement débute dès la fécondation grâce à des facteurs dits «maternels», qui ont été accumulés dans l’ovocyte lors de sa maturation. L’axe antéro-postérieur de l’embryon est ainsi mis en place à cette époque, et le plan de symétrie bilatéral l’est lors de la fécondation. C’est en effet le point de pénétration du spermatozoïde qui détermine le plan de symétrie et la face ventrale du futur embryon, car l’entrée du gamète mâle provoque un réarrangement du cytoplasme cortical et interne de l’œuf, donc des ARN messagers et des protéines qui s’y sont accumulés. Ces messagers déposés dans l’œuf selon des gradients codent pour des facteurs de croissance multiples, dont la combinaison spatiale assure la «dorsalisation» et la «ventralisation» de l’embryon. En particulier, la famille des facteurs du type TFG 廓, dont plusieurs ont été découverts grâce à leurs effets sur les cellules adultes, joue un rôle décisif dans cette étape ainsi qu’à d’autres périodes du développement.

À leur tour, des facteurs produits par le centre de Nieuwkoop activent, dans le chordomésoderme dorsal du centre de Spemann, une série de gènes qui codent soit pour des facteurs de transcription, responsables de l’activation d’autres gènes, soit pour des protéines sécrétées dont l’effet s’exerce sur les cellules voisines.

3. Les gènes de développement

Ces gènes ont été découverts chez la drosophile grâce aux mutations du développement, apparues spontanément ou plus souvent induites par des mutagènes, qui ont été décrites chez cet Insecte. Le généticien américain Edward B. Lewis a posé les bases de ces recherches en analysant les mutations homéotiques qui entraînent la substitution de certaines parties du corps par d’autres. La mutation du gène Antennapedia , par exemple, est responsable de la croissance d’une patte à la place d’une antenne sur la tête de la mouche. Lewis découvre que les mutations homéotiques ne correspondent pas à l’altération de gènes de structure mais de gènes régulateurs d’autres gènes.

Plusieurs de ces gènes ont été clonés, et Walter Gehring et ses collaborateurs y découvrent, à Bâle, en 1984, une séquence conservée qu’ils appellent l’homéodomaine. On démontre chez la drosophile que les gènes homéotiques (dont l’homéobox diverge peu de celle d’Antennapédia) sont distribués séquentiellement sur le même chromosome, qu’ils sont activés au cours du développement selon l’ordre dans lequel ils sont placés sur le chromosome de l’extrémité 3’ à l’extrémité 5’ de la molécule d’ADN, enfin que les gènes situés en 3’ sont exprimés en position céphalique et conditionnent le développement de l’extrémité antérieure de la mouche. Les gènes suivants s’expriment plus tard et plus caudalement. Cette disposition est connue comme la règle de colinéarité spatiale et temporelle, qui sous-tend l’«information de position» que ces gènes fournissent à chaque partie du corps. Très rapidement, ces gènes sont découverts chez un Batracien, le xénope, puis chez la souris, grâce à la conservation très forte de l’homéodomaine au cours de l’évolution. Ces gènes sont beaucoup plus nombreux chez les Vertébrés que chez la drosophile: trente-huit chez la souris et chez l’homme; ils sont répartis en quatre groupes sur des chromosomes différents et résultent d’une double duplication. Leur expression obéit, comme chez la drosophile, à la règle de colinéarité. Comme ils sont nombreux, chaque segment transversal du corps à partir du cerveau postérieur est caractérisé par une combinatoire d’expressions: c’est le code Hox . Ce code peut être altéré expérimentalement chez la souris par l’administration d’un morphogène, comme l’acide rétinoïque, au stade critique de l’embryogenèse ou par mutation ciblée d’un de ces gènes. On observe alors des mutations homéotiques, par exemple la multiplication ou la disparition de certaines vertèbres [cf. ONTOGENÈSE ANIMALE].

4. Les gradients

Les gradients de substances morphogénétiques postulés depuis un siècle (on a évoqué plus haut le gradient assurant l’organisation dorso-ventrale du mésoderme) ont pu être révélés. Au cours de travaux spectaculaires qui leur ont valu le prix Nobel de médecine en 1995, Christiane Nuesslein-Volhard et ses collaborateurs ont démontré que la mise en place de l’axe antéro-postérieur de l’embryon est contrôlée par deux groupes de gènes transcrits dans l’ovaire de la drosophile, non par l’ovocyte mais par les cellules nourricières qui l’entourent. Les produits de cette activité, des ARN messagers, sont déversés dans le cytoplasme de l’œuf et se répartissent à chacun des pôles. Les protéines résultant de la traduction se distribuent sous forme de deux gradients inverses. À la ponte, l’œuf renferme des déterminants qui établissent la polarité antéro-postérieure de l’embryon. La polarité dorso-ventrale est déterminée par une cascade d’événements génétiques indépendants de ceux qui assurent la mise en place de l’axe antéro-postérieur. Puis, lors de la morphogenèse, d’autres gènes entrent en action. Il y en a plusieurs familles, qui forment des réseaux interactifs très complexes. L’identification de ces gènes chez la drosophile a conduit à les chercher chez les Vertébrés: la grande conservation des mécanismes fondamentaux du développement et des réseaux génétiques qui les contrôlent chez tous les métazoaires a alors été découverte.

6. Embryologie et médecine

Il est chaque jour plus évident que nombre de gènes mis en œuvre dans le développement ne sont pas spécifiques de cette période de la vie. Cette règle a été observée de manière constante, après qu’en l987 David Kimelman et Marc Kirschner eurent apporté les premiers arguments moléculaires indiquant le rôle du FGF basique et du TGF 廓 dans l’induction du mésoderme chez l’embryon du xénope. L’un et l’autre de ces facteurs de croissance avaient été découverts pour leurs effets sur des cellules en culture. D’autres gènes contrôlent la croissance cellulaire en codant la synthèse des protéines qui acheminent vers le noyau les signaux de croissance reçus par la membrane cellulaire. Ils sont également impliqués dans le développement. C’est pour cette raison que des gènes qualifiés d’oncogènes, découverts parce qu’ils étaient mutés ou activés anormalement dans les tumeurs, et d’antioncogènes, dont l’activité est au contraire réprimée au cours de certains processus cancéreux, se sont révélés essentiels lors du développement embryonnaire. Inversement, des gènes identifiés pour leur rôle chez l’embryon ont été ensuite reconnus responsables de tumeurs, lorsqu’ils sont invalidés par des mutations.

Par ailleurs, de nombreux gènes de développement ont été clonés chez la souris grâce à leur homologie à des gènes repérés chez la drosophile, puis nombre de gènes humains correspondants ont été identifiés. L’origine de certaines anomalies génétiques connues, mais d’étiologie élusive, a ainsi pu être comprise.

La biologie du développement, on le voit, est une discipline qui connaît depuis le milieu des années 1980 une expansion spectaculaire. Elle permet de comprendre et de prévoir le programme du développement, d’en susciter ou d’en réparer les erreurs. Elle contribue à l’amélioration des performances animales, et sans doute bientôt à la réparation de certaines anomalies génétiques chez l’homme. Ces connaissances débouchent également sur la compréhension et peut-être le traitement de certaines maladies, même lorsqu’elles ont été élaborées à partir de modèles animaux très éloignés et sur des thèmes de recherche qui paraissaient sans aucun rapport avec des applications pratiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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